3e question à l’ordre du jour du conseil Municipal en 1919.
Le Maire – comme vous le savez déjà, notre vieil hospice a été construit en 1860. Gouverné de manière énergique par les religieuses de Charmois, il aurait bien besoin d’être modernisé.
Monsieur le docteur Nurdin le sait mieux que moi, vu que cette question était déjà à l’ordre du jour en 1903, du temps où il occupait une place d’adjoint dans l’ancienne municipalité de Monsieur Georges.
Docteur Nurdin – parfaitement, c’était dans nos projets mais vos belles promesses avec la bénédiction de monsieur le curé nous ont mis sur une voie de garage.
J’avais demandé : création d’une salle d’opération. Vous savez qu’avec mon confrère de la rue de la Brasserie ou mes confrères de Plombières ou de Remiremont nous devons parfois procéder à des amputations urgentes ou trépaner des accidentés intransportables. Les victimes sont dans la mesure du possible transportés jusqu’à l’hospice où rien n’a été prévu pour d’aussi graves d’interventions. On se demande parfois si on serait plus à l’aise comme vétérinaire au fond d’une écurie.
– création d’une salle d’isolement pour les débiles mentaux graves ou les alcooliques invétérés. Souvenez-vous du jour où le Gros Lili avait passé la journée à faire le tour des alambics de la Croisette. À peine revenu à l’hospice il se lançait à la poursuite d’une religieuse lui promettant de la pendre en douceur à un des tilleuls de la cour.
– enfin création d’une chambre spéciale pour la maternité. Car la mitraille allemande a considérablement éclairci nos rangs. Il nous faut encourager le repeuplement de la commune et le gouvernement devrait réfléchi à la création des allocations familiales.
Durand (industriel de Launot) – oui, je ne conteste nullement l’utilité de ces travaux et je suis solidaire des revendications de mon ami le docteur Nurdin. Mais que devient notre projet de rue allant de l’avenue de la gare à la Grande Rue pour desservir le nouveau groupe scolaire des filles que votre équipe a enfin reconnu d’utilité publique. L’école du curé à bien sa ruelle. Et de fait, elle est privée. Ses élèves peuvent entrer ou sortir rue de la gare ou Grande Rue. Pourquoi les filles qui vont à l’école de la République n’auraient pas droit aux mêmes facilités ?
Le Maire – cette rue me paraît être du superflu. Vous êtes d’ailleurs le seul à défendre cette idée et le tract que vous avez pris la liberté de diffuser est mensonger. Vos estimations s’agissant du coût sont trompeuses. Cette nouvelle voirie serait un obstacle de plus à franchir pour moderniser l’hospice.
Durand – pas du tout. Certes, aménager cette rue ne peut se faire sans faire un peu de casse. Il faudra, en effet, démolir une partie de l’hospice à savoir l’écurie, la buanderie, la salle de bains et la salle d’isolement. Mais ces locaux sont dans un triste état et ils pourraient être avantageusement reconstruits de l’autre côté.
Le Maire – vous n’y pensez pas. Les normes d’hygiène actuelles nous mettraient dans un sérieux pétrin. Expliquez-moi comment une salle de bains digne de ce nom peut être desservie par un couloir qui mène à des écuries à cochons ? Ou alors il faudrait que les sœurs s’abstiennent d’élever des cochons. Or, ces cochons ont leur utilité dans la préservation de l’environnement car ils sont des morfales de toutes sortes de déchets ménagers. Je vous expliquerai un jour quand j’aurai mis mes vaches à la retraite cette nouvelle science qui montre le bout de son nez et qu’on appelle la défense de l’environnement. En qualité de maire, j’ai un peu d’avance sur vous, veuillez m’en excuser. Je me suis abonné à Planète. Je refile ensuite mes bouquins au curé qui y puise son inspiration pour sa chronique paroissiale.
Durand – A vrai dire, j’avais fait cette proposition sans trop réfléchir. Je n’avais pas pensé à ces normes sanitaires qui me causent également de nombreux soucis dans mon usine. La chaleur et les vapeurs de caoutchouc inciteraient mes ouvriers à boire plus de 3 litres de vin par jour et le médecin du travail me regarde de travers.
Mais pour la rue, j’ai une solution de rechange. Les héritiers Fleurot nous ont vendu une partie du jardin de la Broche pour y construire l’école des filles. Pourquoi ne pas leur demander de nous vendre une nouvelle portion. Ainsi, la rue déboucherait devant la Broche près de la Croix Gravel avec possibilité pour une prochaine municipalité de continuer jusqu’aux fermes du Moncel et puis la route des Breules et enfin la nationale au dessus du rancho de chez Double Mètre.
Le Maire – quelle imagination fertile ! vous devez passer des nuits blanches à réfléchir à tous ces projets comme si vous étiez à ma place. Mais avec quoi croyez vous que nous allons payer tous vos fantasmes. Une mairie ce n’est pas une fabrique de courroies. Si vos courroies durent trop longtemps votre comptable va faire la grimace car votre chiffre d’affaire va plonger. Pour redresser la barre, il vous suffit d’économiser sur le balata. Et craque ! la machine du client qui tombe en panne comme par hasard. Figurez-vous que c’est ce qui m’est arrivé la semaine dernière avec la moissonneuse lieuse dans mes propriétés des Chapeaux. Remarquez j’ai réussi à réparer avec de la colle de peau de lapin. Mais vous savez bien que ça ne va pas durer aussi longtemps que les contributions. Un jour, je devrais passer à votre magasin d’usine.
Fin de la séance à ??? heure.
Conclusion : M le Maire Émile BALANDIER était comme vous avez pu le constater un avant-gardiste de l’environnement et l’écologie !!.