Suite de la réunion du Conseil Municipal du début de 1919 publiée sous le titre « les suites de la grande guerre ».

 La 2e question est :  Que faire du chantier du tram ?

Le maire   – venons-en à la question du Tram qui nous turlupine depuis 4 ans, depuis que les travaux sont arrêtés pour cause de mobilisation.

Au mois d’avril dernier, alors qu’on ne parlait pas encore d’armistice, le ministre du commerce demandait au préfet où en était notre chantier. Car son ministère se préoccupait déjà de savoir comment occuper nos chers pioupious dès qu’ils auraient quitté leurs tranchées. Le directeur de l’équipement qui croyait se rappeler que le Val-d’Ajol faisait partie de la Franche-Comté a vite refilé le bébé à son collègue de la Haute-Saône. Mais tel un boomerang, il lui est revenu en pleine figure. Alors il a fouillé dans ses cahiers pour dire au ministre : d’accord les travaux ont été lancés au printemps 1914 mais le chantier est à l’abandon depuis 4 ans, les sapins commencent à repousser. Aujourd’hui, c’est l’incertitude en matière de coût et il est probable que d’autres chantiers plus urgents vont se présenter.

À ce jour, l’armistice ayant été signé, c’est à notre conseil municipal de donner son avis sur l’opportunité de rouvrir ce chantier.

La préfecture nous demande si cette ligne de tram aurait encore son utilité.

J’attends que vous donniez vos avis, les uns les autres.

L’opposition -…………………… ????

Le maire – la guerre a démontré à de maintes occasions, en effet, qu’il faut tourner la page. Nous sommes entrés dans l’aire de l’automobile. Pas de rails à entretenir, pas de gare, une totale liberté de circulation, pour résumer beaucoup d’économies en perspective et de nombreux autres avantages au bout du chemin. Il n’est pas un patron d’usine dans notre vallée qui ne puisse exhiber son carrosse à pétrole. Quant à moi, votre maire, tout comme votre curé, je dois encore me contenter de la vieille calèche tirée par Bijou notre vieux cheval. Seul avantage : il connaît le chemin par cœur. Très pratique lors des retours de foire trop arrosés.

L’oppositionoui mais déjà beaucoup trop d’accident à cause de la vitesse. Et nos vaches ne sont pas habituées à voir passer ces automobiles. Ça pue le cambouis et ça pétarade à tout va. À chaque coup de pétard, nos bêtes sautent en l’air, tellement que le lait de nos vaches risque de tourner en beurre avant d’arriver dans l’écrémeuse.

Le maire – vos vaches sont comme nous, elles s’y feront et puis avec un peu de chance elles finiront en vedette à Rungis… ou aux abattoirs de la Villette.

L’oppositionc’est ou Rungis ?

Le maire – un petit bled sympa dans la banlieue de la capitale qui me rappelle la Banvoie.  On y cultive des salades. Je vous y emmènerai un jour, si vous le voulez bien, en allant au salon de l’agriculture voir des autres vosgiennes.

 L’opposition je rêve, vous faites autant de chemin juste pour voir des Vosgiennes. Celles de la Banvoie n’ont pas d’assez gros pis ?

Le maire – on s’égare veuillez reprend votre sérieux. La préfecture est d’avis que cette ligne de tram devienne la nouvelle route de Plombières. Mais au lieu de passer par le Lambétête, elle propose de virer de bord sur les hauteurs de la Battelieule pour s’envoler en direction de la Feuillée avec un magnifique point de vue au Petit Bonnet.

L’opposition j’ai déjà entendu parler de ce projet et les commerçants du village s’en inquiètent. Car le bruit court que les comtois arrivant de Fougerolles pour se rendre au marché à Remiremont rejoindraient directement cette nouvelle route sans passer par le Val-d’Ajol. Une courte, enfin un raccourci, si vous préférez, remplacerait le séculaire « grippot » tracé pas nos ancêtres les Gaulois, qui part de la scierie Vincent.

Le maire – ce ne sont que de vilains racontars sans le moindre fondement. Le virage vers la Battelieule se justifie pour atténuer la pente et aussi pour ne pas toucher aux surfaces agricoles dont mes camarades cultivateurs des Œuvres et de la Maison Blanche ont grand besoin.

Un de l’opposition – oui mon œil, vous voulez que nos voisins de Fougerolles puissent joindre la Feuillée Nouvelle avec sa réputée guinguette retrouver leur Julie, la fille Bertrand de Croslières et son homme l’Alphonse Grosjean, qui sont vos gérants depuis près de 20 ans. Ils finiront ces comtois par y passer leurs fins de semaine à danser la polka au son de l’épinette des filles Clolery.

Pendant que nos voisins se donneront du beau temps à draguer les femmes de la Haute Société qui sous prétexte de je ne sais quels maux imaginaires séjournent dans les plus beaux hôtels de Plombières et se donnent du plaisir à tourner la tête de nos garçons. J’en connais qui ne rêvent plus que de la vie parisienne.

Qui va reprendre nos fermes si nos filles ne trouvent plus à se marier parce que trop pauvres et condamnées le plus souvent à porter des affûtiaux cousus par les vieilles couturières du village.

Le maire – vos propos vous égarent cher confrère. Nos gérants de la Feuillée sont en place depuis près de vingt ans rapport à leurs compétences dans la restauration et l’animation. Ils font un travail admirable qui laisse aux étrangers d’excellents souvenirs de leurs balades en terre Ajolaise et de notre belle forêt du Chanot. Notre site de la Feuillée fait même boule de neige. On dit que la jeune Laure Cloléry qui joue à merveille de l’épinette dans l’auberge de ses parents à l’Hôtel Enfoncé envie notre belle Feuillée. Elle y vient d’ailleurs chaque été cueillir les délicieuses brimbelles dont elle fait des tartes qui se vendent comme des petits pains.

 Le Docteur Nurdin de l’opposition – qui va faire cette route ? les ouvriers seront-ils recrutés dans la commune ? notre grand entrepreneur local, Henri Vaubourg, qui avait construit la mairie en moins de 10 mois, a passé 4 ans sur les champs de bataille. Il en est revenu très affaibli ayant été gazé dans l’Aisne. Il a repris ses activités mais avec très peu d’ouvriers et il envisage même d’arrêter faute de pouvoir surveiller ses chantiers.

Le maire – le ministre du commerce qui ne savait que faire des poilus lorsqu’ils seraient de retour dans leur famille pense très fortement à faire venir des terrassiers et carriers d’Italie tellement la France est à reconstruire. À Ruaux, les Bigoni, les Besozzi, les Poroli se sont déjà parfaitement intégrés dans la population locale. Déjà on voit arriver avec un simple baluchon sur le dos, leurs cousins, leurs épouses et enfants.

A suivre…