Il existe en effet sur la commune deux feuillées très connues qui se font face : la Feuillée Nouvelle et la Feuillée Dorothée.
Si la logique porte à croire que la Feuillée Nouvelle est la petite sœur de l’autre, l’examen des archives démontre que c’est exactement le contraire.
En effet, la Feuillée Nouvelle existait déjà bien avant la révolution au cœur d’une forêt qui appartenait alors à la noblesse comme le reste du Chanot. C’est à l’occasion du tracé d’une nouvelle route devant conduire à Plombières, en 1835, que cette feuillée déjà très fréquentée par les baigneurs va faire une cure de jouvence. Car le préfet des Vosges qui a son hôtel particulier au cœur de la station a sous le coude une enveloppe de 5.000 F qui le démange car elle doit impérativement être utilisée dans les moindres délais sans quoi elle sera perdue. C’est en effet un reliquat d’une dotation particulière attribuée par l’État en faveur du thermalisme mais les projets manquent à l’appel. Dans le même temps, il existe à Plombières un organisme constitué de notables et de commerçants qui se réjouit de la mise en chantier de cette nouvelle route et qui admettrait volontiers que l’ancienne Feuillée qui n’est alors qu’une simple clairière offrant un point de vue magnifique sur la vallée de la Combeauté et ses champs de cerisiers puisse disposer d’un confort amélioré.
Une buvette pourrait avantageusement y être installée. Ces crédits de l’État sont alors une bénédiction. La distraction des baigneurs peut en effet être considérée comme une amélioration du thermalisme. C’est donc avec l’insistance du préfet que les notables de Plombières vont demander un réaménagement du site. D’où l’appellation « Feuillée Nouvelle » ou encore « Feuillée Communale ». Formules qui seront de suite adoptées par l’arpenteur Tocquaine mandaté par les Eaux et Forêts de Remiremont. M. Tocquaine dans son plan daté du 28/1/1840 nous donne un aperçu très explicite du site avec des parcelles que la commune met en vente par adjudication. Le percepteur de l’époque, François Fleurot, toujours en quête d’une bonne affaire, fait une offre pour acheter l’une de ces parcelles, la plus proche du site. Elle est actuellement occupée par le Chalet des Amis de la Nature. C’est alors une friche marécageuse de peu de valeur mais l’astucieux percepteur promet d’en faire un Eden avec une buvette naturellement. Enfin une autre parcelle située en aval sera également mise en vente car il est prévu de déboiser toute la partie aval du site. Le percepteur quant à lui devra se désister car il doit rendre des comptes sur une gestion douteuse des finances de la commune alors dirigée par son cousin et il sera muté à Corcieux.
D’autres parcelles seront encore vendues par la commune du Val-d’Ajol vu qu’il lui fallait trouver l’argent nécessaire au financement de ces coûteux travaux de voirie. A rappeler que jusque 1840 environ, le chemin principal conduisant à Plombières et qui partait de la Croix passait par le Grépiné et les Charrières. Plus connu sous l’appellation de « Chemin des Morts », bordé de profonds ravins, l’agent voyer mandaté par le département le trouva en effet trop dangereux car étroit et trop pentu pour être conservé. Sans doute le chemin de Plombières avait-il acquis une triste réputation suite aux accidents mortels dont il fut trop souvent la cause.
Evidemment pour désaltérer les nombreux visiteurs ainsi que les attelages, il fut jugé nécessaire d’aménager sur le site de la nouvelle Feuillée pas moins de trois fontaines. Hélas, la seule source disponible étant située à une altitude peu convenable et par la force des choses la pente étant trop faible pour amener le précieux liquide dans ces trois fontaines, l’approvisionnement en eau de cette Feuillée fut un casse-tête qui ne fut jamais résolu. Les premiers tuyaux en bois vont en effet rapidement se détériorer car ne supportant les desséchements répétitifs de chaque été. Pas moins de 30 sapins avaient tout de même été sacrifiés pour percer les tuyaux nécessaires. Le remplacement par des tuyaux en grés ne fut pas davantage concluant. Seule la fontaine inférieure dite « Fontaine Siméon » put au final être conservée. L’hôtel qui fut construit en 1904 eut à souffrir des mêmes ennuis. Il fallut l’équiper d’une pompe qui souvent tombait en panne.
Une loge en dur fut rapidement aménagée pour recevoir les visiteurs, leur offrir boissons et produits du terroir. Et surprise, parmi les premiers gérants, apparaît alors le nom d’Amé Lambert. C’est un nom que d’ordinaire nous associons à la Feuillée concurrente. Car il s’agit bien du même homme qui vient de faire l’acquisition de la ferme que Dorothée fut obligée de vendre pour payer ses dettes. Mais contrairement à la légende, le bien acquis par Lambert n’est pas encore un vrai site touristique. Ce n’est qu’une modeste ferme avec vaches et cochons que Dorothée tient en indivision avec ses deux frères et sœurs, tous célibataires, sauf que sa terrasse offre un splendide panorama qui reste cependant à aménager. Lambert qui a sans doute des idées derrière la tête va donc faire ses classes dans la réputée feuillée communale située en face. A la belle saison, il s’y rend chaque jour à cheval pour accomplir son devoir de gérant et il ne tardera pas à demander que la commune lui construise un abri pour son précieux attelage. Mais Lambert se lasse vite de son statut peu reluisant de simple locataire. Son bail court du 1er mai 1891 au 30 avril 1894 mais il va y renoncer par courrier du 30/10/1893. C’est alors une femme, Constance Cholley, qui lui succédera de 1894 à 1897. Elle établira à ses frais un orchestre (sorte de gloriette) qui deviendra propriété communale à la fin de son bail. Se succéderont sur le site d’autres exploitants locataires tous de Laître comme le restaurateur Albert Parisot, puis le cafetier Albert Grosjean. Ce dernier construira l’hôtel qui fut démoli voici quelles années. Il y passera une grande partie de sa vie. Car Grosjean contrairement aux locataires qui l’ont précédé a obtenu le bénéfice d’un bail commercial appelé 3-6-9. Une vie toutefois parsemée d’embûche comme sa mobilisation pour la grande guerre. Son épouse qui se retrouve seule avec de jeunes enfants à charge rame pour honorer le contrat passé avec la commune. Son commerce qui vit essentiellement du tourisme est alors touché de plein fouet.
D’un naturel curieux, Napoléon III se rendra bien sûr aux deux feuillées qui surplombent la vallée lors de ses séjours à Plombières. Mais la presse de ces époques témoigne surtout des grands dîners qu’il organisera plusieurs fois toujours à la Feuillé Nouvelle entouré d’une dizaine de notables avec leurs épouses comme le 1/8/1865. Après tout, c’est bel et bien grâce à l’argent de l’État que cette feuillée est devenue un site remarquable. Il en est un peu le propriétaire. Souvent le retour sur Plombières devra se faire à la lumière des chandelles et des torches.